Denis Bigeard et la construction du golf

Interview réalisée par le magazine Golfik

La création du Golf du Bassin Bleu est un pari un peu fou ! Si la pratique était apparue sur l'île avec la création du Golf de Bourbon dans les années 70, elle ne pouvait se développer qu'avec de nouveaux parcours. Les sucreries de Bourbon possédait un foncier important sur l'Ouest et en bordure de Ravine Saint Gilles. Les terres n'ayant pas vocation à cette époque à être mis en culture, l'idée d'un golf germa. Il fallut néanmois l'obstination de Denis Bigeard, pour concrétiser le projet. Les travaux débutèrent en 1989 et furent titanesques au regard de la topographie des lieux. Mais l'équipement sorti de terre en 1992. Les débuts furent quelques chaotiques à tout point de vue mais grâce à l'appui du groupe Bourbon et dans un second temps de Cbo Territoria, propriétaire du foncier, le golf se développa avec l'avènement d'une société de plus en plus tournée vers le loisir. La société GBB SAS est toujours possédée par Cbo Territoria mais un nouvel actionnaire, Ilop Sport, est entré au capital apportant son expertise de l'univers sportif et événementiel.

Denis Bigeard, à l'origine du Golf du Bassin Bleu

Denis Bigeard est aujourd’hui retraité en Béarn, après avoir vécu plus de soixante ans à La Réunion. Il aura œuvré dans de nombreux domaines sur l’île mais il aura laissé indéniablement une réelle empreinte dans l’univers du Golf. Sans sa passion, son amour du jeu, le projet du Bassin Bleu n’aurait jamais vu le jour. Il a accepté de nous livrer quelques-uns de ses souvenirs… sa vérité !

Comment avez-vous été amené à lancer le projet du Golf du Bassin Bleu ?

Denis Bigeard : J’ai mené ce projet avec comme partenaires/associés de la première heure les premiers golfeurs de l’île que j’avais connus à Bourbon, et qui m’ont suivi avec une amicale confiance… Essentiellement : Patrick Michel (le père de Franck), Charles Chauvet, Jo Ethève, et un cadre des Sucreries de Bourbon, Patrick Lorcet.

Pourquoi créer un golf dans l’Ouest ?

J’aimais le golf. Après une initiation en Métropole pendant mes études, à Fourqueux gratuit pour les étudiants en semaine - j’ai démarré à Bourbon en 1976 avec mon père. Il y avait moins de 60 membres et pas de pro. On y arrivait très tôt le week-end en éteignant les lanternes de la voiture sur le parking, la passion des débuts. En 1989 (démarrage du projet) j’étais index 12 et j’avais déjà lancé le Colorado en sachant bien que ce ne serait jamais un 18 trous. On visait même au départ plutôt un simple pitch&putt pour éviter aux Dionysiens la route jusqu’à l’Étang-Salé. Il y avait également un green et un filet d’entraînement à l’ONF à la Providence.  Je m’intéressais réellement beaucoup au golf, au dessin des parcours… et j’avais aussi dessiné un projet de 18 trous pour Bourbon, resté sans suite. Ce projet de l’Ouest sur le site du Bassin Bleu me semblait vraiment prometteur.

Le site de Saint Gilles les hauts a t - il tout de suite été choisi ou existait-il d'autres alternatives ?

Il m’avait été proposé comme simple "hypothèse de travail" par Emmanuel Cortadellas (alors directeur des Sucreries de Bourbon), à côté d’un projet d’aménagement global de la ravine St-Gilles pour permettre aux touristes de relier la plage au Musée de Villèle et à la Chapelle Pointue en passant par un parc à oiseaux, des jeux d’enfants, des promenades à dos d’âne, etc. 
Dans son esprit tout cet aménagement serait fait bien avant le golf. Il ne me connaissait pas bien (sourire). Il y a eu effectivement une réflexion "parallèle et concurrente" sur un "6 trous" entre l’Hermitage et La Saline les Bains, vers Bruniquel. Mais ce n’était évidemment pas viable à long terme, ni intéressant sur le plan général (site, vue, chaleur...). 

On dit que vous étiez proche de Jacques de Châteauvieux alors propriétaire, est-ce que cela a joué en faveur du projet ?

Jacques de Châteauvieux a surtout fait confiance à Emmanuel Cortadellas et ne s’est pas impliqué dans les décisions pratiques.

Comment l'architecte a- t- il été choisi ?

J’ai fait un avant-projet avec mes amis, puis sollicité Robert Berthet, d’Évian, et ami de mon épouse. Celui-ci a pris le contre-pied de notre demande de tracer le parcours "sur les lignes de niveaux" (pour diminuer les montées-descentes pénibles).
J’avais en effet tracé le profil de plusieurs parcours pour apprécier ce problème : Colorado, Tananarive, Étang-Salé… Nous avons donc décidé de ne pas le suivre. J’ai alors contacté Garaïalde et Pascassio, pour éviter les "architectes".
Garaïalde a répondu sous la signature "Jeremy Pern, architecte" et Pascassio ne nous a jamais répondu. Nous avons donc décidé de réaliser "notre projet" et obtenu l’aide d’Alexis Godillot (20 fois champion de France amateur) pour le dessin des greens.
Ce dessin est donc très largement de mon initiative, spécialement pour le trou n°4 (la ravine, le 13 actuel) qui a conquis tout le monde dès le départ. Mais c’est aussi le cas pour les deux trous du bas et le green "Réunion" en contrebas du club-house.
Pour le club-house on a fait dessiner un projet par Jean François Delcourt, et on l’a adapté à la trame des constructions Bourbon Bois, pour la sécurité et une construction "maîtrisée".

On dit également que le budget validé était pour un 9 trous et que, pris par votre enthousiasme, vous avez opté pour un 18 trous...Est-ce exact ?

C’est une bêtise racontée au "Journal du Golf, un gratuit qui a un peu mélangé dans sa rédaction (de décembre 2018) les trois clubs… le GBB n’a jamais été organisé avec une municipalité, ni été prévu pour un simple 9 trous. C’est une confusion avec le Colorado pour ces 2 points.
Le projet de départ était même de 18 trous avec extension possible à 27 dans la savane en-dessous du parcours actuel. "Mon enthousiasme" était évidemment tempéré par les autres participants (la société d’investissement montée avec 1,5MF) et le projet a été bouclé sans dépassement intempestif. C’est le fonctionnement ensuite qui a mis du temps à s’équilibrer et posé des problèmes.

Quelles ont été les principales contraintes du site ?

La faible épaisseur de terre essentiellement, les accidents de relief, subtilement utilisés comme pour le green du 8 sur sa couche de lave, la sécheresse et le choix des graminées.

Comment a été accueilli le projet dans le quartier de Villèle ?

Plutôt bien, en raison des perspectives d’emploi. Et, effectivement, les caddies ont vite trouvé leur place et le chef-jardinier de Bourbon, William Puylaurent, habitant Villèle, a vite accepté notre proposition d’embauche.

Combien de temps ont duré les travaux ?

De mémoire environ 2 ans, et pour satisfaire nos impatiences et attirer une nouvelle clientèle, nous avons ouvert les premiers trous, le wek-end, en jouant sur des petits bouts de tapis de practice… Le hangar à matériel a été construit sur les containers qui nous ont livré du terreau pour la construction des greens.

Vos meilleurs souvenirs ?

L’époque de la genèse du projet, le début de sa mise en œuvre…nous avions cette excitation propre à tout lancement. Mais les premières balles tapées, la concrétisation de longs mois ont été aussi un moment fort.

Une fois ouvert, quel a été votre rôle ?

J’étais président de la société de gestion, Jo Ethève celui de l’association sportive. Puis j’ai fait office pendant une période de « responsable du site ».

Pourquoi vous êtes éloigné ensuite du site et du golf ?

A la sortie des travaux qui avaient été financés par une société, la SRET, avec de multiples actionnaires, Jacques de Châteauvieux m’a demandé de créer une société indépendante en vue de l’exploitation.

GBB SA a donc été créée avec un capital trop faible, les potentiels investisseurs avaient déjà souscrits à la SRET…
Cette sous-capitalisation, associée à un nombre de joueurs assez faible au départ nous a vite rattrapés et nous avons été mis en redressement judiciaire au bout de 3 ans. C’était en 1995.  J’avais en interne beaucoup d’opposition venant de personnes qui souhaitaient finalement prendre le pouvoir pour en faire leur parc de jeu : ceux qui jouaient à 15 le vendredi à l’encontre de toute étiquette, ils se reconnaîtront, certains sont encore des acteurs majeurs du golf local ; il y avait aussi ceux qui souhaitaient placer leurs amis… Même si c’était une minorité, elle a fait vaciller le système et nous avons au final été liquidés en 1996, de mémoire.

Une nouvelle équipe est arrivée. A compter de ce jour j’ai été interdit de site…
C’est finalement ce qui m’a fait le plus mal. Mais je ne vis pas dans la rancœur. C’est un épisode de vie, comme tant d’autres. Il en restera un parcours, des rencontres et un club qui aujourd’hui est bien implanté dans son environnement. C’est l’essentiel.

 

Que retiendrez-vous de cette aventure ?

Je suis très satisfait de mon travail. Il fallait y croire et nous y avons cru. Le parcours a normalement évolué mais globalement le dessin initial est toujours présent. Je suis tout de même bien obligé de constater que selon l’adage connu il est difficile "d’être prophète en son pays"…